La sentience: d’où vient-elle?
(Merci à Susan Kershaw  pour la traduction en français) 

Il me semble une évidence que la sentience est héréditaire: on n’apprend pas à être sentient. Ce qui implique que c’est un trait évolué que la progéniture hérite de ses parents. 

Personne ne sait exactement comment fonctionne l’évolution mais les courants dominants en science maîtrisent assez bien les idées fondamentales. En voici mon interprétation approximative....

Chaque génération diffère un peu de la précédente à cause de changements dans le génome.  Quelques-uns des changements sont causés par la reproduction sexuelle, un nouveau mélange étant créé par le fait que la progéniture hérite certaines caractéristiques de chaque parent. Certains changements, dus à des mutations ou à des erreurs de réparation, sont aléatoires. Ces changements peuvent s’avérer bénéfiques, neutres ou délétères au nouvel organisme. C’est là que la théorie de la sélection naturelle entre en jeu. Par un changement bénéfique, on veut dire que l’organisme individuel gagne des atouts dans la reproduction, comparé à ses congénères. Si l’organisme survit, se reproduit et le changement s’avère bénéfique, il se peut que ce changement soit transmis à la progéniture qui, devenu plus apte à se reproduire, le transmettra à son tour. Ce génome modifié deviendra donc de plus en plus commun. Voilà la base du concept de la sélection naturelle, selon laquelle le plus en forme sera le plus apte à survivre et à se reproduire. Par contre, en cas de changement délétère, moins d’organismes survivront et se reproduiront, de sorte que le génome se raréfie. La sélection va contre lui. 

Il est intéressant de constater que puisque l’écosystème peut changer, des traits qui étaient bénéfiques à un moment peuvent plus tard devenir nocifs, tandis que des traits délétères ou neutres pourraient devenir bénéfiques sous un autre écosystème. 

Cette sélection naturelle n’a pas de “dessein supérieur” comme but. Des résultats similaires peuvent être atteints par des voies différentes. 
Comparez l’œil humain et celui d’une mouche : les deux sont des solutions efficaces pour la vision. Ainsi pour le vol : les insectes volent avec quatre ailes, les oiseaux avec deux mais en se servant de plumes tout le long du bras tandis que la chauve-souris se sert d’une membrane étendue entre des doigts adaptées. Aucune de ces solutions n’a évolué d’un coup mais plutôt par un lent processus de modifications de traits préexistants au cours de beaucoup de générations.

Pour que la sentience survienne, la structure physique qui l’incarne doit être déjà présente. Le débat sur la sentience des animaux est rendu possible seulement par le fait que nous ne savons pas exactement quelles structures physiques sont nécessaires pour que la sentience puisse se développer.
Si j’ai bien compris, ceux qui croient que seuls les êtres humains sont doués de sensibilité se basent sur la présomption erronée que seuls des êtres qui possèdent un cerveau exactement comme le nôtre puissent être doués de sentience. 

Nous savons que nous ne sommes pas la seule espèce d’hominidés à avoir existé, quoi que nous semblions être la seule en existence à l’époque actuelle. Alors, quand est-ce que notre premier ancêtre est devenu sentient ? Bien sûr, tout dépend de la définition de la sentience. On ne peut se baser que sur l’évidence du record des fossiles, à partir duquel nous ne pouvons pas déduire s’ils avaient un langage, s’ils étaient capables de se reconnaître dans un miroir, de trouver la sortie d’un labyrinthe et ainsi de suite. Nous savons qu’ils utilisaient des outils, car on en a trouvé à côté de leurs fossiles. Ce qui différencie leur utilisation d’outils de celle d’un corbeau ou d’un chimpanzé est le fait qu’ils ont utilisé des outils pour en fabriquer d’autres, ce qui démontre qu’ils étaient capables de pensée abstraite, de dextérité et de savoir faire pour utiliser un marteau en pierre pour transformer une autre pierre en outil performant. De tels outils sont associés à des fossiles d’un de nos ancêtres, l’espèce hominidé Australopithèque, vieille de plus de 3 millions d’années. https://en.wikipedia.org/wiki/Stone_tool   
Nous ne savons pas à quoi ressemblait leur cerveau, mais d’après la taille de leur crâne nous savons que leur cerveau mesurait à peu près un tiers du cerveau de l’homme moderne. Ce qui semble démontrer que si l’on accepte que l’usage d’outils soit un signe de sentience, avoir un cerveau tout à  fait comme le nôtre n’est pas un critère nécessaire à la sentience. Cette conclusion est confirmée par l’évidence que d’autres descendants des hominidés Australopithèques avaient des cerveaux de tailles différentes tout en ayant des talents similaires ou même plus avancés. Mais ces descendants se sont éteints. 

J’ai aussi du mal à croire que seuls les êtres humains ont eu « la chance » de devenir sentients. Rappelez-vous que la sélection naturelle agit au niveau de changements dans un individu. Donc à un moment un seul être (ou peut-être deux ou trois dans le cas de jumeaux ou triplets) est devenu sentient et a pu se reproduire. Et on veut nous faire croire que la seule espèce qui existe aujourd’hui et qui est descendue de cet individu, c’est la nôtre?
Australopithecus afarensis
Source: Wikipedia 
Nous avons compris que l’évolution suit (ou plus précisément crée) des voies diverses pour atteindre des buts similaires. Qu’est-ce qui porte à croire que, parmi tous ces divers traits héréditaires, la sentience serait le seul à développer par une voie unique ?

Je considère que pour découvrir le premier ancêtre à avoir développé la sentience il est plus raisonnable de remonter bien avant l’avènement de l’espèce Australopithèque. Une idée intéressante qui s’appelle La Théorie du Schéma de l’Attention a été avancée.

Si je comprends bien, selon cette théorie un organisme reçoit en permanence des informations fournies par les sens. Si toutes ces informations sont traitées comme prioritaires, il en résultera une situation de conflit qui bloquera les réactions de l’organisme. Le système nerveux a donc développé la capacité de traiter les signaux par concurrence entre les neurones, de sorte que le neurone avec le signal le plus fort primera sur les autres pour dicter le comportement à adopter.  Cette amplification sélective des signaux est antérieure au développement du cerveau et étaient déjà présente dans des sens particuliers, tels que la vision, l’ouïe et le toucher. 

Ensuite, une structure centrale de contrôle a évolué pour réguler la priorité accordée à chacun des sens et pour diriger l’attention vers ce qui est le plus important. C’est une partie du cerveau qui s’appelle le tectum et qui s’est développé il y a environ 500 millions d’années. Il semblerait que le tectum crée un modèle interne de l’emplacement des différentes parties du corps, ce qui permet aux mouvements de se faire avec précision et de façon prévisible. Grâce au tectum, l’attention se dirige vite et avec précision vers tout ce qui semble important.  La prochaine étape est un système qui peut aussi détourner l’attention des choses qu’on perçoit directement pour agir en tenant compte de choses dont on n’est pas directement conscient : ce qu’on appelle « l’attention secrète ».  C’est le cortex qui s’en occupe dans notre cerveau et le Wulst dans les reptiles et les oiseaux. Cette capacité exige un modèle plus sophistiqué, capable de réagir non seulement à ce qu’on perçoit directement ou indirectement mais aussi d’agir en fonction de ce que d’autres choses pourraient faire.  Ce modèle permet aussi la conscience de soi, considérée comme un marqueur de sentience. 
Il en découle que la sentience ne peut avoir développé il y a seulement trois millions d’années pour être héritée seulement par nous autres homos sapiens mais qu’elle a dû apparaître il y a des centaines de millions d’années pour se trouver dans maintes espèces d’animaux. Cette idée dérange beaucoup de gens qui justifient l’exploitation des animaux en se disant que ce ne sont pas vraiment des êtres sensibles. Bien sûr, nous ne saurons jamais si cette théorie du schéma de l’attention est la bonne. Cependant, elle me semble mieux fondée que l’affirmation que l’homme est une espèce à part et que cela lui donne le droit d’inventer les règles de ce qui constitue la sentience, des règles selon lesquelles, comme par hasard, nous nous qualifions comme la seule espèce digne de l’appellation « sentiente ». 
Les pages suivantes traitent les activités humaines avec les animaux et leurs implications et pourquoi nous devrons les arrêter.